jeudi 19 janvier 2017

Canapé de mes parents salon de mes parents nous sommes assis de manière à ce que tu apparaisses au premier plan plus grande que tu ne l'es au premier plan imposante ton regard fixe ton regard éteint ton regard qui sait déjà je porte la chemise verte à carreaux que tu m'as offerte la chemise verte à carreaux que je n'aime pas mais que je dois porter et que je dois aimer car c'est toi qui me l'as offerte cette chemise verte à carreaux que tu emporteras quelques mois après ce jour dans le salon de mes parents sur le canapé de mes parents et ce portrait d'un semblant de nous.



Torre del Mar, Espagne, j'essaye de faire des ricochets sur la mer avec des galets j'échoue probablement j'ai ce slip de bain que j'avais emprunté puis volé à un copain pour aller à Aquaboulevard quand j'avais dix ans je te tourne le dos l'image est figée mais sonore j'entends ton rire qui se moque de ma maladresse et du slip d'enfant ridicule et les vagues rient avec toi contre moi en avalant les galets je ne veux pas te faire rire mais je continue de lancer galet après galet pour tuer le temps pour tuer les vagues chaque seconde passée le dos tourné est une occasion de plus pour ne pas affronter ton regard.



J'ai brûlé la photo la dernière qu'il me restait de toi et le bout de mon doigt alors que je croyais pouvoir ton visage une dernière fois ta photo d'identité partie en fumée dans le cendrier sur le balcon fumée qui m'a piqué le nez ta photo d'identité que tu avais signé d'un baiser au rouge à lèvres rouge et d'un je t'aime disparu tout ça j'ai brûlé la photo mais les femmes que je croisais toutes les femmes portaient sur le leur ton visage alors j'ai voulu brûler ce souvenir le dernier qu'il me restait de toi mais la boîte d'allumettes était vide. 

mardi 10 janvier 2017

AMOUR

« Si tu m'aimes, que me donnes-tu ? »
Il lui donne son cheval rapide.

« Si tu m'aimes, que me donnes-tu ? »
Il lui donne sa maison ;

Puis, il donne toutes ses richesses, et toujours, elle n'aime pas.
Alors, il prend sa hache, de la main droite, avance le bras ; 
sa main gauche, il se la coupe au poignet ; il la met à part et la lui donne.

Prends-moi, dit-il, 
dans les bras, 
maintenant que je ne puis même plus t'aimer sans ton aide.
Aussitôt, elle l'aime.
Mais, 
bientôt, 
vient le sang, le désespoir, et le fleuve qui les boit dans un seul remous.


Henri Michaux, Fables des Origines 


jeudi 5 janvier 2017

Troisième rêve de pièce
La pièce vide 3

Je suis immobile devant l'unique fenêtre, dans la pièce vide. Ce n'est plus tout à fait pareil car il y a un arbre derrière cette fenêtre, un seul arbre posé là au milieu de rien. Ce n'est même pas tout à fait un arbre car d'abord, je ne remarque qu'un tronc, un large tronc sans branche pour l'orner. Un large tronc qui aurait également pu être un poteau si, alors que je me suis concentré quelques instants pour mieux le voir, il n'y avait pas eu cette branche, aussi fine qu'un long fil de couleur sombre. Mais il y a bien cette branche et, devant moi, à une dizaine de mètres de la fenêtre, il y a bien un presqu'arbre qui se dresse. Si je pouvais me concentrer davantage, je distinguerais chaque nervure sur le tronc, chaque chemin dessiné, chaque aspérité tapissée de mousse, chaque embryon de branche, chaque imperfection et chaque perfection qui font ce qu'est ce presqu'arbre. Mais cette chose qui me gratte au niveau du cou détourne bientôt mon attention, je baisse les yeux pensant pouvoir constater, oubliant que personne ne peut voir son propre cou sans aide extérieur. La fenêtre ne me reflète rien d'autre que l'image de ce tronc et de la branche au bout de laquelle semble prendre un autre fil que je n'avais pas remarqué ou qui est apparu pendant que je cherchais à constater mon cou. Ce n'est même pas tout à fait un fil mais peut-être bien une corde. Ce n'est même plus toute à fait une simple gène mais une douleur qui s'enroule, c'est comme s'il y avait des mains, comme si je n'allais bientôt plus pouvoir respirer, comme si ces mains étaient les miennes que je sens pourtant à leur place habituelle, collées le long de mon corps, c'est comme s'il y avait un boa mais il n'y a que moi dans cette pièce vide, devant l'unique fenêtre, face au presqu'arbre. Au bout de la corde accrochée à la branche, un nœud. Et la douleur m'étouffe avant que je ne remarque que mes pieds ne touchent plus le sol. Je lance mes bras au-dessus de ma tête et ne trouve rien, je brasse l'air un instant, mes muscles s'engourdissent, et tout retombe mollement. Mes cervicales cèdent quand je lève les yeux et vois au bout de la corde, prisonnier du nœud, cette tête qui est la mienne.



mardi 3 janvier 2017

Nombreuses 
sont 
les ombres des disparus
 qui 
s'emploient uniquement à lécher les flots du fleuve des morts,
parce qu'il vient de chez nous 
et
qu'il a encore
 le goût salé de nos 
mers. 

Franz Kafka, Les Aphorismes de Zürau