LUI
Y
avait cet américain qui est venu me trouver pas loin de là, c'était
dans la rue, mes jambes marchaient sauf que je ne parle pas
l'américain, sauf que je n'aime pas trop parler, sauf que j'étais
en train de faire marcher mes jambes, et il m'a donné ça. Alors
j'ai arrêté ce cycliste qui passait en cyclant à côté, alors je
lui ai expliqué et pour l'américain et pour ça, alors ils ont
commencé à parler, en américain, et ils se comprenaient. Il se
trouve que ça, c'est le bonheur. Le cycliste a dit que c'est leur
truc aux américains, c'est qu'ils le cherchent, c'est qu'ils le
poursuivent et une fois qu'ils l'ont, ils ne savent pas quoi en
faire. J'ai remercié le cycliste qui a remercié l'américain, j'ai
fait remarcher mes jambes avec mon bonheur au creux de la main.
S'agissait pas de le faire tomber, s'agissait pas de le perdre.
S'agissait pas de l'égarer, s'agissait de le protéger, s'agissait
de le garder en lieu sûr. J'ai fait courir mes jambes pour
rentrer chez moi. Mais chez moi,
c'est nulle part. Alors je suis
allé dans un terrain vague, s'agissait de le faire disparaître.
J'ai voulu creuser mais la terre ne s'y prêtait pas. J'ai mis le
bonheur dans ma bouche pour l'avaler, pour qu'il reste en moi.
Impossible. Il jaillissait, s'expulsait, retombait dans ma main. Je
l'ai fourré dans ma poche mais il l'a percée. J'ai eu peur.
J'ai
cherché à le lancer, l'écraser, l'anéantir. Il demeurait là,
blotti contre ma main.
J'ai
voulu me tuer, m'écraser, m'anéantir. Il m'en empêchait.
J'ai
repensé à mes jambes, au cycliste, à l'américain.
Je
me suis dit que le bonheur ne se jetait, s'agissait de le
transmettre.
Je
me suis dit qu'il ferait peut-être l'affaire pour ce
pain aux raisins.