NOSMURS
« Tu
étais assise dans le canapé avec tes yeux de rupture, les miens ne
savaient pas trop, je voulais te faire croire que je ne m'y attendais
pas, je t'ai regardée pour compatir mais y avait le mur derrière le
mur noir comme les autres murs, les murs tachés humides, tes yeux
humides aussi je ne voulais pas que ça se passe comme ça parce que
le mur derrière on aurait déjà dû le repeindre et puis
l'appartement on aurait dû le quitter avant on aurait dû se quitter
avant toi et moi,
toi
et moi, ça ne donnait plus rien et moi,
moi
j'étais ailleurs tout le temps, les murs avaient été blancs avant
qu'on se mette ensemble
tout
de suite tu avais emménagé tu t'étais approprié le lieu, tu te
l'étais accaparé et puis moi,
moi
avec, moi je croyais que j'étais heureux je croyais que ça n'avait
pas d'importance que les murs noircissent qu'on les salissent
de
nos respirations
de
nos transpirations
de
notre activité entre ces murs qui ne signifiaient rien
on
disait notre chez nous c'était nulle part c'était une chambre de
bonne insalubre que j'étais le seul à payer, toi
toi
t'avais autre chose à faire de ton argent toi tu disais qu'on avait
fait un deal,
notre
passion m'aveuglait jusqu'à en oublier les murs pourris par nos
engueulades,
enfin
tes engueulades tes insultes quand je me taisais moi je parle tout le
temps pour combler le silence pour ne rien dire pour parler quoi sauf
quand il faut justifier tout justifier
j'en
oubliais ton sourire innocent j'en oubliais tes mains sur mon corps
tu
te torturais pour me montrer le mal tout le mal que je te faisais en
ne faisant rien
j'étais
comme ces murs qu'on avait dégradés,
il
pleuvait toujours plus à l'intérieur qu'au dehors
dehors
c'était autre chose
dehors
y avait pas de mur
dehors
y avait pas toi
et
tes yeux de rupture
tes
yeux qui me voyaient monstre tes grands yeux noirs de haine et
d'amour en fuite
tes
yeux qui me faisaient mal tout le mal que je te faisais et plus
encore
tes
yeux du déjà trop tard pourtant
dehors
c'était pas tout à fait une nuit y avait c'est vrai les rectangles
orangés lumineux de l'autre côté de la rue avec les gens dedans
fatigués et lents les réverbères en bas qui n'éclairaient pas
grand chose l'épicier et puis ses fruits qu'il fallait ranger mais
dehors
c'était pas tout à fait une nuit
c'était
pas tout à fait trop tard
j'ai
pensé que la nuit allait blanchir les murs réparer apaiser tes yeux
de rupture
j'ai
passé toute la nuit à penser à ça à ce qu'elle allait pouvoir
faire à ma place, la nuit
j'ai
passé toute la nuit dans le lit du haut seul à me croire déjà
libéré et seul alors que tu étais en-bas et puis que tu ne savais
pas que la rupture
allait
quitter tes yeux
pour
repeindre nos murs...